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DE LA PREMIÈRE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

in concreto. Mais le ton n’indique jamais des relations d’espace ; il ne peut donc jamais conduire à reconnaître la nature de sa cause ; il ne nous apprend jamais rien au-delà de sa propre sensation ; par conséquent, il ne peut servir de donnée à l’entendement pour construire le monde objectif. Les sensations du tact et de la vue constituent seules de semblables données : aussi un aveugle, qui n’aurait ni mains ni pieds, pourrait bien à priori se construire l’espace dans toute sa disposition régulière, mais il n’obtiendrait du monde objectif qu’une représentation très vague. Néanmoins ce que fournissent le tact et la vue n’est encore nullement la perception, mais seulement sa matière première : car la perception est si peu contenue dans les sensations de ces deux sens, que ces sensations n’ont même aucune ressemblance avec les propriétés des objets que nous nous représentons par leur intermédiaire, comme je vais le montrer tout à l’heure. Seulement il faut bien distinguer ici ce qui appartient réellement à la sensation d’avec ce que l’intellect lui ajoute dans la perception. Cela est difficile au premier abord ; car nous sommes tellement habitués à passer immédiatement de la sensation à sa cause, que celle-ci nous apparaît sans que nous accordions notre attention a la sensation en soi ; celle-ci nous donne, pour ainsi dire les prémisses de la conclusion que tire l’entendement.

Étudions maintenant le tact et la vue : d’abord ils ont chacun leurs avantages spéciaux ; aussi se soutiennent-ils mutuellement. La vue ne demande pas le contact, pas même la proximité : son champ est incommensurable ;