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RAISON SUFFISANTE DU DEVENIR

que le roulement de la boule que l’on frappe. Libre arbitre signifie (pas d’après le verbiage des professeurs de philosophie, mais sérieusement) qu’étant donné un homme, dans une situation donnée, deux manières différentes d’agir lui seront possibles. Mais la parfaite absurdité de cette proposition est une vérité aussi certaine et aussi clairement démontrée que peut l’être une vérité qui outrepasse le domaine des mathématiques pures. C’est dans mon mémoire sur le libre arbitre, couronné au concours par l’Académie royale des sciences en Norvège, que l’on trouve cette vérité exposée de la manière la plus claire, la plus méthodique et la plus fondamentale, et tenant aussi tout spécialement compte des faits de conscience au moyen desquels les ignorants croient pouvoir accréditer l’absurdité relevée ci-dessus. Mais déjà Hobbes, Spinoza, Priestley, Voltaire, de même Kant[1],

  1. « Quelle que soit l'idée que l'on se fasse, dans des vues métaphysiques, du libre arbitre, il n'en est pas moins constant que toutes ses manifestations, les actions humaines, sont déterminées par des lois naturelles générales tout aussi bien que n'importe quel autre phénomène. » (Idées pour servir à une histoire universelle. Le commencement.)

    « Toutes les actions de l'homme dans leurs manifestations sont déterminées par son caractère empirique et par les autres causes concomitantes, selon l'ordre de la nature : et, si nous pouvions scruter jusqu'au fond toutes les manifestations de son libre arbitre, il n'y aurait pas une seule action humaine que nous ne pourrions prédire avec certitude et que nous ne pourrions reconnaître comme nécessaire en vertu des conditions qui l'ont précédée. À l'égard de ce caractère empirique, il n'existe donc pas de liberté, et ce n'est en définitive, que d'après ce caractère seulement, que nous pouvons considérer l'homme quand nous voulons uniquement observer et rechercher physiologiquement, comme on fait en anthropologie, les mobiles de ses actions. » (Crit. de la R. P. Comp. trad. de M. Tissot, t. II, p. 294.)

    « On peut donc affirmer que s'il nous était possible de pénétrer la façon de penser d'un homme, telle qu'elle se manifeste par les actions intérieures aussi bien que par les extérieures assez profondément pour que