Page:Schopenhauer - De la quadruple racine, 1882, trad. Cantacuzène.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
RAISON SUFFISANTE DU DEVENIR

J’ai exposé avec détails, dans ma Critique de la philosophie kantienne, que substance n’est du reste qu’un synonyme de matière, car la notion de substance ne peut se réaliser qu’à l’égard de la matière et par conséquent doit à celle-ci son origine ; j’y expose aussi tout particulièrement comment cette notion n’a été créée que pour servir à une supercherie. Cette sempiternité, certaine à priori, de la matière (que l’on appelle la permanence de la substance), est, à l’instar de bien d’autres vérités tout aussi certaines, un fruit défendu pour les professeurs de philosophie : aussi passent-ils sournoisement devant elle, en se bornant à lui jeter des regards obliques et effarouchés.

Cette chaîne infinie des causes et des effets, qui dirige tous les changements et qui ne s’étend jamais au-delà, laisse intacts pour cette même raison deux « êtres » : d’une part, comme nous venons de le montrer, la matière, et d’autre part les forces naturelles primitives : la première parce qu’elle est ce qui supporte ou ce sur quoi se produisent les changements ; les secondes parce qu’elles sont ce en vertu de quoi les changements ou effets sont possibles généralement parlant, ce qui communique avant tout aux causes la causalité, c’est-à-dire la faculté d’agir, par conséquent ce qui fait qu’ils la reçoivent de ses mains à titre de fief. Cause et effet sont les changements conjoints dans le temps et astreints à se succéder nécessairement : les forces naturelles, par contre, en vertu desquelles toute cause agit, sont soustraites à tout changement et, en ce sens, complètement en dehors du temps,