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RAISON SUFFISANTE DU DEVENIR

glorification du méchant philosophastre, et tout aussitôt leurs voix firent retentir dans les crânes vides de milliers d’imbéciles un écho qui vibre et se propage encore aujourd’hui : et voilà comment une cervelle ordinaire, je dirai mieux, un vulgaire charlatan, fut transformé en un grand philosophe. Ainsi, prends courage ! Du reste, chère amie et patronne, nous te seconderons encore par d’autres moyens ; tu sais que nous ne saurions vivre sans toi ! — Le vieux chicaneur de Kœnigsberg a critiqué la raison et lui a rogné les aîles ; — soit ! Eh bien, nous inventerons une nouvelle raison, dont homme au monde n’avait entendu parler jusque-là, une raison qui ne pense pas, mais qui a l’intuition immédiate, qui perçoit intuitivement des idées (un terme noble, créé pour mystifier) en chair et en os, ou encore qui les entend, qui entend immédiatement ce que toi et les autres voulaient prouver d’abord, ou bien — chez ceux-là du moins qui ne veulent pas faire de concession, mais qui se contentent tout de même de peu — qui le devine. Ces notions populaires, que l’on inculque de bonne heure aux hommes, nous les faisons passer pour des inspirations de cette nouvelle raison de notre façon, c’est-à-dire, à proprement parler, pour des inspirations d’en haut. Quant à l’ancienne raison, que l’on a critiquée à fond, nous la dégradons ; nous l’intitulons entendement, et nous l’envoyons promener. Et le véritable entendement, l’entendement proprement dit ? — Mais, pour l’amour de Dieu ! qu’avons-nous à faire de l’entendement véritable, de l’entendement proprement dit ? — Tu souris d’incrédulité : mais nous, connaissons notre public et les naïfs étudiants