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RAISON SUFFISANTE DU DEVENIR

voiture de place que l’on congédie quand on est rendu à destination. Elle ressemble plutôt à ce balai que l’apprenti sorcier anime dans la ballade de Goethe et qui, une fois mis en mouvement, ne cesse plus de courir et de puiser de l’eau, de façon que le vieux maître sorcier peut seul le faire rentrer dans le repos. Il est vrai que ces messieurs, tous tant qu’ils sont, ne sont guère sorciers.— Alors qu’ont-ils fait, ces nobles et sincères amis de la vérité, eux qui, dans le ressort de leur profession, épient constamment le mérite pour le proclamer à la face de l’univers dès qu’il se présente ; eux qui, lorsqu’un autre est en réalité ce qu’ils ne sont qu’en apparence, bien loin de chercher à étouffer ses travaux en gardant un silence sournois et en les ensevelissant lâchement dans le secret, se font tout d’abord les hérauts de son mérite, — et cela infailliblement, aussi infailliblement que la déraison aime par-dessus tout la raison ? Oui, qu’ont-ils fait pour leur vieille amie, pour cette pauvre démonstration cosmologique, si rudement éprouvée et gisant déjà sur le flanc ? — Ah ! ils ont imaginé une ruse ingénieuse. « Chère amie, lui ont-ils dit, tu es malade, bien malade, depuis ta fatale rencontre avec le vieil entêté de Kœnigsberg, aussi malade que tes sœurs l’ontologique et la physico-théologique. Mais rassure-toi ; nous, nous ne t’abandonnons pas pour cela (tu sais, nous sommes payés à ces fins) : cependant il faut, — impossible de faire autrement, —il faut que tu changes de nom et de costume : car, si nous t’appelons de ton nom, nous ferons fuir tout le monde. Tandis que si tu adoptes l’incognito, nous pouvons t’offrir