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APPENDICE
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Un sentiment pénible, mais bien naturel après ce que je viens de dire, s’empare du lecteur lorsque, des travaux de ces vrais penseurs que nous avons passés en revue, il arrive aux écrits de Fichte et de Schelling, mais surtout au non-sens que Hegel, avec une confiance illimitée, mais justifiée, dans la niaiserie allemande, a eu l’audace de coucher par écrit[1]. — Chez les premiers, on reconnaît partout une recherche loyale de la vérité et des efforts tout aussi loyaux pour communiquer aux autres leurs pensées. Aussi se sent-on élevé et ravi en lisant Kant, Locke, Fume, Malebranche, Spinoza, Descartes ; on est entraîné à faire cause commune avec un noble esprit, qui pense et fait penser. C’est tout le contraire qui a lieu à la lecture des trois sophistes allemands que j’ai nommés plus haut. Quiconque ouvre, sans prévention aucune, un de leurs ouvrages, ne pourra rester longtemps dans le doute, quand il se demandera si c’est là le ton d’un penseur qui veut instruire ou celui d’un charlatan qui cherche à tromper : tellement tout y respire la déloyauté. Le ton

  1. La fausse sagesse hégélienne est tout à fait cette meule qui tournait dans la tête de l’écolier dans Faust. Pour abrutir à dessein un jeune homme et le rendre à jamais incapable de penser, il n’est pas de moyen plus éprouvé que l’étude assidue des œuvres originales de Hegel, car ces assemblages monstrueux de mots qui se détruisent, et se contredisent réciproquement, et où l’esprit se torture vainement à découvrir un sujet de méditation, jusqu’à ce qu’il s’affaisse épuisé, anéantiront si bien chez notre jeune homme toute faculté de raisonner, qu’à partir de ce moment des billevesées creuses et vides passeront à ses yeux pour de profondes pensées. Ajoutez encore à cela la conviction, raffermie encore en lui par la parole et l’exemple des personnages haut placés, que tout ce fatras de paroles est la vraie, la haute sagesse ! Si jamais quelque tuteur éprouvait de l’inquiétude à voir son pupille devenir trop fin pour les plans qu’il ourdit contre lui, l’étude assidue de la philosophie hégélienne pourrait bien vite parer à ce malheur.