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PARERGA ET PARALIPOLENA

on s’exprimera à ce sujet à peu près en ces termes : « Il n’est pas difficile de comprendre que cette « manière » qui consiste à énoncer une proposition, à donner les raisons qui l’appuient et à réfuter de même par des raisons la thèse contraire, n’est pas la forme sous laquelle puisse se présenter la vérité. La vérité est le mouvement d’elle-même par elle-même, » etc. (Hegel, Préface à la Phénoménologie de l’esprit, page lvii ; dans l’édition complète, page 36). Pour moi, je pense qu’« il n’est pas difficile de comprendre » que, lorsqu’on s’annonce de cette façon, on n’est qu’un effronté charlatan, qui veut jeter de la poudre aux yeux des niais et qui s’aperçoit que les Allemands du xixe siècle sont justement les gens qu’il lui faut.

Lorsque, courant soi-disant vers le temple de la vérité, on confie les rênes aux mains de l’intérêt personnel, qui a les yeux fixés à côté et se guide, sur d’autres constellations, comme qui dirait sur les goûts et les faiblesses des contemporains, sur la religion de l’État, mais surtout sur les vues et les indications des hommes du pouvoir, — comment pourrait-on jamais y arriver, à ce temple situé bien haut, sur des roches escarpées et nues ? — Mais on peut grouper autour de soi, attachés par les liens de l’intérêt, une bande d’élèves remplis, c’est le cas de le dire, de hautes aspirations, c’est-à-dire aspirant aux faveurs et aux emplois, formant en apparence une secte, mais en, réalité une faction, et dont les voix de Stentor, réunies en chœur, jetteront votre nom à tous les vents comme celui d’un sage sans pareil : l’intérêt de la personne sera ainsi satisfait ; celui de la vérité, trahi.