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PARERGA ET PARALIPOLENA

C’est pour cela qu’au guichet du contrôle on n’a pu leur accorder leur entrée dans la vénérable compagnie des penseurs, bienfaiteurs de l’humanité.

Toutefois il est une chose dans laquelle ils ont excellé : c’est l’art d’attraper le public et de se faire valoir pour ce qu’ils n’étaient pas ; il faut pour cela un talent incontestable, seulement pas philosophique. Mais au fond ils n’ont rien pu produire de véritable en philosophie, par la raison que leur intellect n’était pas devenu libre, mais était resté au service de la volonté : l’intellect, dans ces conditions, peut être très utile à la volonté et à ses fins, mais non à la philosophie ni à l’art. Car ceux-ci demandent justement pour première condition que l’intellect ne travaille que de sa propre impulsion et cesse, tant que dure son activité, de servir la volonté, c’est-à-dire d’avoir en vue les intérêts personnels propres. Lui, quand son activité est due à son propre mouvement, ne connaît de sa nature d’autre but que la vérité. Aussi ne suffit-il pas pour être un philosophe, c’est-à-dire un ami de la sagesse (qui n’est autre que la vérité), d’aimer la vérité en tant qu’elle peut se concilier avec l’intérêt propre, ou avec les statuts de l’Église, ou avec les préjugés ou les goûts des contemporains : tant qu’on s’en tient là, on n’est qu’un φιλαυτος (philautos), mais non un φιλοσοφος (philosophos). Car ce titre honorable est beau et sagement trouvé, précisément parce qu’il signifie qu’on aime la vérité sérieusement et de tout cœur, sans condition, sans réserve, par-dessus tout et, au besoin même, en dépit de tout. La raison en est la même que celle rapportée plus haut, à savoir que l’intellect s’est affranchi, et que