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PARERGA ET PARALIPOLENA

sont vides ; s’il doit y pénétrer quelque chose, ce ne peut être que pour se manifester comme matière, c’est-à-dire quelque chose d’actif, et en conséquence comme causalité, car la matière n’est d’outre en outre que causalité : son existence est dans son action et réciproquement : elle n’est que la forme objective sous laquelle l’intelligence conçoit la causalité (voyez De la quadruple racine du principe de la raison suffisante, et Le monde comme volonté et représentation). Voilà donc d’où vient que les propriétés primaires de Locke sont purement celles sans lesquelles on ne peut concevoir les objets ; mais cette condition indique précisement avec une netteté suffisante leur origine subjective, en ce qu’elles résultent immédiatement de l’organisation même de l’appareil de l’intuition ; de là vient aussi qu’il considère comme absolument objectif ce qui précisément, à titre de fonction cérébrale, est bien plus subjectif encore que la sensation directe qu’excite ou du moins détermine plus nettement le monde extérieur.

C’est un beau spectacle néanmoins de voir comment toutes ces diverses manières de saisir et d’expliquer la question du rapport entre l’idéal et le réel, soulevée par Descartes, ont contribué à développer et à éclairer de plus en plus le problème et à faire faire des progrès à la vérité. Il est vrai que ce fut le résultat d’une faveur des circonstances, ou plutôt de la nature, qui, dans le court intervalle de deux siècles, fit naître et se développer en Europe plus d’une demi-douzaine de penseurs ; et, pour surcroît de chance, il se fit que ces hommes, placés au sein d’une société vouée exclusivement à l’intérêt, aux plaisirs et aux