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LA DOCTRINE DE L’IDÉAL ET DU RÉEL

forme de doute sur l’existence du monde extérieur, et qu’ils cherchent à le résoudre en s’efforçant de rechercher la séparation et les rapports entre le monde idéal, subjectif, existant uniquement dans notre représentation, et le réel, objectif, indépendant de l’autre et existant par soi. C’est pourquoi nous disions que ce problème est l’axe autour duquel pivote toute la philosophie du temps moderne.

Locke se distingue de ces philosophes, probablement à cause de l’influence de Hobbes et de Bacon, en ce qu’il serre toujours au plus près l’expérience et le sens commun, évitant le plus possible toute hypothèse hyperphysique. Le réel est pour lui la matière, et, sans s’inquiéter des scrupules de Leibniz sur l’impossibilité d’un rapport de causalité entre la substance immatérielle, pensante, et la matérielle, étendue, il admet hardiment, entre la matière et le sujet connaissant, l’influence physique. Mais, avec une prudence et une loyauté rares, il va en cela jusqu’à confesser que la substance connaissante et pensante pourrait bien être aussi matière (On human underst., L. IV, ch. 3, § 6) : ce qui lui valut plus tard les éloges répétés du grand Voltaire, mais qui lui attira, en revanche, de son vivant, les attaques méchantes d’un rusé prêtre anglican, l’évêque de Worcester[1]. Selon Locke, le réel, la

  1. Il n’est pas d’Église qui redoute plus la lumière que l’anglaise, précisément parce qu’aucune autre n’a en jeu d’aussi gros intérêts pécuniaires ; ses revenus se montent à 5 millions de livres sterling, ce qui, dit-on, dépasse de 40 000 livres ceux de tout le clergé chrétien des deux hémisphères pris ensemble. D’autre part, il n’y a pas de nation qu’il soit plus douloureux de voir s’abrutir méthodiquement par cette foi dégradante du charbonnier, que le peuple anglais, si supérieur en