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LA DOCTRINE DE L’IDÉAL ET DU RÉEL

usage ; mais il a formulé, tout spécialement à cet effet, l’harmonie préétablie. Celle-ci nous offre deux mondes entièrement différents, incapables chacun d’agir aucunement sur l’autre (Principia philos., § 84, et Examen du sentiment du P. Malebranche, p. 500 et suiv. des OEuvres de Leibnitz publ. par Raspe), chacun n’étant que la doublure parfaitement inutile de l’autre, mais qui, avec tout cela, doivent coexister, marcher en lignes rigoureusement parallèles et garder strictement la mesure ; dans ce but, leur créateur a établi entre eux, dès l’origine, la plus exacte harmonie, et ils peuvent désormais continuer tranquillement leur course côte à côte. Pour le dire en passant, l’harmonie préétablie peut le mieux être rendue sensible par une comparaison avec la scène d’un théâtre, où très souvent l’inftuxus physicus ne s’exerce qu’en apparence, vu que la relation de cause à effet n’y dépend que d’une harmonie préétablie par le régisseur, comme, par exemple, quand l’un tire et que l’autre tombe a tempo. C’est dans sa Théodicée, § 62, 63, que Leibnitz, succinctement et sous la forme la plus crue, a exposé sa théorie dans toute sa monstrueuse absurdité. Et cependant tout ce dogme leibnitzien n’a même pas le mérite de l’originalité, puisque Spinoza déjà a bien clairement posé l’harmonie préétablie dans la seconde partie de sa Morale, spécialement dans les 6e et 7e propositions, avec leurs corollaires, et puis dans la cinquième partie, prop. 1, après avoir exprimé à sa manière, dans la 5e proposition de la seconde partie, cette maxime, si voi-