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LA SECONDE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

Ceylan a fait subir en 1766, séparément et successivement, aux grands-prêtres des cinq pagodes les plus considérables. Le contraste entre les interlocuteurs, qui se comprenaient difficilement, est très amusant. Les prêtres, conformément aux préceptes de leur religion, pénétrés d’amour et de charité envers toute créature vivante, quand même ce serait un gouverneur hollandais, s’efforcent, de leur meilleure volonté, de satisfaire à toutes ses questions. L’athéisme naïf et candide de ces grands-prêtres, pieux et même pratiquant la continence, est en conflit avec les intimes convictions de cœur du gouverneur, nourri dès son enfance des principes du judaïsme. La foi du Hollandais est devenue une seconde nature ; il ne peut se faire à l’idée que ces religieux ne soient pas théistes ; il revient toujours sur la question de l’Être suprême ; et leur demande sans cesse qui donc a créé le monde, etc. Ceux-là lui expliquent alors qu’il ne peut pas y avoir d’être supérieur à Bouddha-Chakya-Mouni, le victorieux et parfait, qui, né d’un roi, a vécu volontairement en mendiant, qui a prêché jusqu’à sa mort sa haute doctrine, pour le salut de l’humanité, et pour affranchir tous les hommes du mal d’une renaissance perpétuelle ; le monde, lui disaient-ils, n’a été fait par personne[1], il est créé de soi-même (selfereated) ; la nature le développe pour le diminuer ensuite, mais il est ce qui, tout en existant, n’existe pas ; il accompagne nécessairement toute renaissance, mais ces renaissances sont les suites de nos péchés pendant la vie, etc., etc. Et

  1. Κόσμον τόνδε, φήσιν Ἡράϰλειτος, οὕτε τὶς θεῶν οὔτε ἀνθρόπων ἐτὸιηθεν. (Plut. De animæ procreatione, c. 5.) (Note de Schop.)