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LA RAISON

ce là la raison ? Oh non, ce sont des bouffonneries, qui doivent venir au secours des professeurs de philosophie réduits aux abois par la sérieuse critique de Kant, afin qu’ils puissent faire passer, per fas aut nefas, les affaires de la religion d’État pour des résultats de la philosophie.

Car le premier devoir de la philosophie des professeurs est de prouver par des considérations philosophiques et de mettre à l’abri du doute le dogme que le Dieu qui a créé et qui gouverne le monde est un être personnel, c’est-à-dire un individu doué de volonté et d’intelligence, qui a fait le monde du néant et qui le guide, avec une sagesse, une puissance et une bonté suprêmes. Mais, par là, les professeurs de philosophie se trouvent placés dans une position très critique vis-à-vis de la vraie philosophie. En effet Kant est venu, voilà plus de soixante ans ; la Critique de la raison pure a été écrite, dont le résultat fut que toutes les preuves avancées depuis le commencement de l’ère chrétienne pour démontrer l’existence de Dieu, et qui se ramènent aux trois seules espèces de démonstrations possibles, sont absolument impuissantes à fournir ce que l’on demandait : bien plus, la critique établit bien clairement, à priori, l’impossibilité de toute semblable démonstration et en même temps de toute théologie spéculative, et elle l’établit, bien entendu, non pas comme il est de mode aujourd’hui, à l’aide d’un verbiage creux, d’un radotage à la Hegel que chacun peut interpréter à sa guise, mais sérieusement et loyalement, à la bonne vieille manière, de façon que depuis soixante ans, quelque gênante que la chose puisse être pour beaucoup de gens,