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LA SECONDE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

détresse dans laquelle Kant les avait plongés. La raison froide, sobre et cogitative, que celui-ci avait si impitoyablement critiquée, fut déchue de son rang pour devenir l’entendement, dont elle dut désormais porter aussi le nom ; quant à celui de raison, il fut attribué à une faculté entièrement imaginaire, ou, pour parler plus franchement, inventée par mensonge. On se trouvait posséder de la sorte une lucarne, ouvrant, pour ainsi dire, sur le monde supra-lunaire, voire même supranaturel, et par laquelle on pouvait se faire passer, tout apprêtées et tout arrangées, toutes ces vérités pour la recherche desquelles la raison d’autrefois, la raison à l’ancienne mode, la raison honnête, douée de réflexion et de prudence, avait laborieusement travaillé et vainement discuté pendant de longs siècles. Et c’est sur une semblable faculté chimérique et mensongère que se base depuis cinquante ans la soi-disant philosophie allemande, d’abord comme construction libre et comme projection du moi absolu et de ses émanations vers le non-moi ; puis comme intuition, intellectuelle de l’absolue identité ou de l’indifférence, et de leurs évolutions vers la nature, ou aussi de Dieu, naissant de son fond ténébreux ou de son absence de fond (abîme) à la Jacob Böhme ; enfin comme idée absolue, se pensant soi-même, et comme scène où s’exécute le ballet du mouvement propre des idées ; mais, en outre, toujours comme conception immédiate du divin, du suprasensible, de la divinité, de la beauté, vérité, bonté, et de tout ce qu’on voudra encore de choses en « té » ou bien seulement une divination de toutes ces magnificences. — Eh quoi ! serait-