Page:Schopenhauer - De la quadruple racine, 1882, trad. Cantacuzène.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
LA RAISON

raisons politiques, on fait régner encore quelque temps un roi expiré depuis plusieurs jours. Ces vaillants héros emploient vis-à-vis de moi, qui ai démoli ces deux vieilles fables, leur tactique accoutumée : se taire, ne souffler mot, passer devant en se glissant sans bruit, faire semblant d’ignorer ce qui est arrivé, afin que le public croie que ce qu’un être comme moi peut dire ne mérite même pas qu’on y prête l’oreille : eh ! certainement ; n’est-ce pas du ministère qu’ils tiennent leur vocation philosophique, tandis que moi je ne la tiens que de la nature ? Malgré tout, la fin montrera que ces nobles paladins font exactement comme l’autruche : cet oiseau, qui a des opinions idéalistes, s’imagine que dès qu’il ferme les yeux, le chasseur disparaît. Oui, certes ; s’il arrivait d’autres temps, on pourra recourir à d’autres moyens : pourvu seulement qu’en attendant, peut-être jusqu’à ce que je sois mort, et qu’on ait eu le loisir d’arranger à sa façon tout ce que j’ai avancé, le public veuille bien s’accommoder du bavardage stérile, du rabâchage mortellement ennuyeux, et des systèmes d’absolu et de morale à l’usage des écoles primaires, bâtis selon le bon plaisir de ces messieurs ; plus tard, on verra à prendre ses mesures :

Morgen habe denn das Rechte
Seine Freunde wohlgesinnet,
Wenn nur heute noch das Schlechte
Vollen Platz und Gunst gewinnet[1]. »

(W. O. Divan.)
  1. « Que demain le vrai trouve ses amis bien disposés, pourvu qu’aujourd’hui encore le mauvais trouve pleinement place et faveur. » (Gœthe.)