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LA RAISON

digne d’admiration. La philosophie de Kant, dans ce qu’elle a de réellement grand et profond n’est connue aujourd’hui que de bien peu de gens ; car ces œuvres, en cessant d’être étudiées, sérieusement, ont dû cesser aussi d’être comprises. Elles ne sont plus, lues, à la hâte et comme faisant partie de l’histoire de la philosophie, que par ceux qui s’imaginent qu’après Kant il y a bien eu encore quelque chose, et voire même de meilleur ; aussi, quand ces gens-là parlent de la philosophie de Kant, on s’aperçoit à l’instant qu’ils n’en connaissent que l’enveloppe extérieure ; ils n’en ont gardé dans leur tête qu’une ébauche grossière ; ils en ont par hasard saisi un mot par-ci par-là, mais n’en ont jamais pénétré le sens profond et l’esprit. Or ce qui leur a plu dans Kant, ce sont tout d’abord les antinomies, comme quelque chose d’éminemment bizarre ; ils aiment ensuite la raison pratique avec son impératif catégorique ; mais ils préfèrent par-dessus tout la morale théologique, à laquelle la précédente sert de fondement, mais que Kant n’a jamais prise réellement au sérieux, car un dogme théorique qui n’a qu’une autorité, exclusivement pratiquer ressemble à ces fusils de bois que l’on peut sans danger mettre entre les mains des enfants ; cela rappelle aussi le dicton allemand : « Wasch mir den Pelz, aber mach ihn mir nicht nass » (laver la fourrure, mais sans la mouiller, c’est-à-dire demander l’impossible). Quant à l’impératif catégorique, Kant ne l’a jamais posé comme une réalité ; au contraire il a protesté à plusieurs reprises contre cette supposition ; il n’a présenté cet impératif que comme le résultat d’une