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LA RAISON

colossale », du « grand Schleiermacher » et du « pénétrant Herbert ». Hélas ! trois fois hélas ! ce qu’il y a de pernicieux dans la glorification de ces coryphées universitaires et de ces héros de chaires professorales, prônés à grand bruit par tous leurs honorables collègues ainsi que par tous les zélés candidats qui aspirent à le devenir, c’est que l’on fait passer aux yeux de la jeunesse bonne, crédule et encore dépourvue de jugement, des têtes médiocres, de la marchandise de pacotille de la nature, pour de grands esprits, pour des êtres exceptionnels, pour l’ornement de l’humanité. Les jeunes gens se précipitent alors de toute raideur de leur âge dans l’étude stérile des interminables et insipides productions de ces écrivassiers, gaspillant sans profit le temps si court qui leur a été départi pour les hautes études, au lieu de remployer à s’instruire réellement ; cette instruction, ils ne peuvent la puiser que dans les écrits des vrais penseurs, de ces hommes toujours si rares, si vraiment exceptionnels parmi leurs semblables, qui, « rari nantes in gurgite vasto » (Virgile, Enéide), dans le cours des siècles n’ont apparu qu’à de longs intervalles, parce que la nature ne créa qu’une seule fois chaque être de cette espèce ; après quoi « elle brisa le moule ». La jeune génération actuelle aurait pu avoir aussi sa part des bienfaits de ces génies, si elle n’en avait été frustrée par ces êtres malfaisants entre tous qui préconisent partout le mauvais, par les affiliés de la grande confrérie des esprits vulgaires, toujours florissante, que la supériorité humilie et qui a juré une guerre perpétuelle au grand et au vrai. Ce sont ces êtres et leurs