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LA RAISON

ne plus l’appeler la raison (Vernunft), mais, contrairement à tout usage de la langue et à toute convenance, l’entendement (Verstand) ; et tout ce qui en découle, ils le nomment verständig (accessible à l’entendement) au lieu de vernunftig (raisonnable) : ce qui produit un effet discordant et maladroit, comme une fausse note. Car, de tout temps et en tout lieu, on a désigné par « Verstand », entendement, « intellectus, acumen, perspicacia, sagacitas, » etc., cette faculté immédiate et plutôt intuitive, que nous avons étudiée dans le précédent chapitre ; ses manifestations, qui diffèrent spécifiquement des produits de la raison qui nous occupent en ce moment, on les a qualifiées d’entendues (verständig), de prudentes, de fines, etc. ; ainsi donc, entendu et raisonnable ont toujours été distingués l’un de l’autre, comme manifestant deux facultés intellectuelles entièrement et largement différentes. Mais les professeurs de philosophie étaient tenus de ne pas s’en soucier ; leur politique exigeait ce sacrifice, et dans de pareils cas voici leur langage : « Place, range-toi, vérité ! nous avons des desseins plus élevés et mieux compris ; place, in majorem Dei gloriam, comme tu en as la longue habitude ! Est-ce toi, par hasard, qui payes les honoraires ou les appointements ? Place, place, vérité ! cours te blottir dans l’ombre, auprès du mérite. » Ils avaient en effet besoin de la place et du nom de la raison, pour les donner à une faculté imaginaire ou, pour parler plus exactement et plus franchement, à une faculté mensongère de leur invention, qui devait servir à les tirer de la détresse où Kant les avait plongés ; c’était une faculté