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LA SECONDE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

l’homme le recueillement (Besonnenheit), dont l’animal est privé. En effet, par la faculté que la pensée lui procure de se représenter mille choses sous une seule notion, et dans chacune l’essentiel seulement, il peut à son gré rejeter des différences de toute nature, par conséquent même celles de l’espace et du temps ; il acquiert ainsi la possibilité d’embrasser d’un coup, par l’esprit, et les choses passées et les futures et les absentes ; l’animal, au contraire, est sous tous les rapports enchaîné au présent. Ce recueillement, cette faculté de réfléchir, de rassembler ses esprits, est à vrai dire la source de tout ce travail pratique et théorique qui rend l’homme tellement supérieur à l’animal ; de là le soin qu’il prend de l’avenir, tout en considérant le passé ; de là les plans médités, bien coordonnés et méthodiques, qu’il suit pour arriver à ses fins ; de là l’association en vue d’un but commun, de là l’ordre, les lois, l’État, etc. — Les notions abstraites fournissent encore principalement les matériaux réels des sciences dont l’objet, en définitive, est de reconnaître le particulier au moyen du général, ce qui n’est possible que par le « dictum de omni et nullo » et par conséquent, par l’existence des abstractions. Aussi Aristote dit : « ἄνευ μὲν γὰρ τῶν ϰαθόλου οὐϰ ἐστίν ἐπιστήμην λάϐειν » (absque universalibus enim non datur scientia). (Métaph., XII, ch. ix.) Les notions abstraites sont justement les universaux dont l’essence a soulevé, au moyen-âge, la longue querelle des réalistes et des nominaux.