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LA SECONDE CLASSE D’OBJETS POUR LE SUJET

possible peut être conçue par la pensée comme un genre ; c’est pourquoi elle est toujours quelque chose de général et qui, à ce titre, ne peut être perçu par les sens. Aussi a-t-elle une sphère, qui est l’ensemble de tout ce que l’on peut y comprendre par la pensée. Plus on s’élève dans l’abstraction, plus on doit abandonner de parties, et par conséquent moins il en reste pour la pensée. Les notions suprêmes, c’est-à-dire les plus générales, sont les plus vides et les plus pauvres ; elles finissent par n’être plus qu’une Enveloppe sans consistance, comme par exemple « être, essence, chose, devenir », etc. — Pour le dire en passant, quel fond peuvent avoir des systèmes philosophiques qui partent de semblables notions et dont la substance se compose uniquement de ces légères pellicules d’idées ? Ils ne peuvent qu’être infiniment vides et pauvres, et dès lors ennuyeux à suffoquer.

Puisque, ainsi que nous le savons, les représentations sublimées et décomposées jusqu’à fournir des notions abstraites ont perdu toute perceptibilité, elles se déroberaient à toute connaissance et ne sauraient être employées dans les opérations de l’esprit auxquelles on les destinait, si on ne les fixait et maintenait au moyen de signes matériels choisis à volonté : ces signes sont les mots. Ceux-ci en tant qu’ils forment le contenu du dictionnaire, c’est-à-dire la langue, désignent toujours des notions abstraites, des idées générales, et jamais des objets perceptibles ; un dictionnaire qui énumère au contraire des individus ne contient pas des mots, mais seulement des noms propres, et c’est alors un dictionnaire géographique ou historique,