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LE TEMPS DU CHANGEMENT

nouveau était déjà survenu ; mais que, si nous lui assignons un moment propre entre les deux, il fallait que pendant ce temps les corps ne fussent ni dans le premier, ni dans le second état ; par exemple, il fallait qu’un mourant ne fut ni mort ni vivant, qu’un corps ne fût ni en repos ni en mouvement ; ce qui est absurde. Sexias Empiricus a rassemblé les difficultés et les subtilités de la question dans son ouvrage Adv. Mathem., lib. IX, 267-271, et Hypot., III, c. 14 ; on en trouve aussi quelques-unes dans Aulu-Gelle, 1, VI, c. 13. — Platon avait expédié assez cavalièrement (sic) ce point difficile, en déclarant tout bonnement, dans le Parménide, que le changement arrive soudain et ne prend aucun temps ; qu’il est ἐξαίφνης (in repentino), et il appelle cela une « ἅτοπος φύσις, ἐν χρόνω οὐδέν οὖσα », c’est-à-dire un état bizarre et en dehors du temps (mais qui ne s’en produit pas moins dans le temps).

C’est donc à la perspicacité d’Aristote qu’il a été réservé de tirer au clair cette épineuse question, ce qu’il a fait d’une façon complète et détaillée dans le VIe livre de la Physique, chap. 1-8. La démonstration par laquelle il prouve qu’aucun changement ne s’effectue subitement (le « ἐξαίφνης » de Platon), mais toujours par degrés, remplissant par conséquent un certain temps, se fonde entièrement sur la pure perception à priori du temps et de l’espace ; mais elle est aussi très subtilement tournée. Ce qu’il y a de plus essentiel dans sa très longue argumentation peut se résumer dans les points suivants. Dire de deux objets qu’ils sont contigus signifie qu’ils ont réciproquement une extrémité commune ; par conséquent, il n’y a que