Page:Schopenhauer - De la quadruple racine, 1882, trad. Cantacuzène.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
KANT ET L’APRIORITÉ DU CONCEPT DE CAUSALITÉ

comprend que le s’ensuivre ; le se suivre, il le comprend tout aussi peu que la différence entre la droite et la gauche, différence que l’on ne peut saisir que par la sensibilité seule, comme c’est par elle seule aussi que l’on peut comprendre la succession. Une suite d’événements dans le temps peut parfaitement être reconnue empiriquement (ce que Kant nie dans le passage rapporté), aussi bien que la juxtaposition des objets dans l’espace. Mais la manière dont en somme une chose succède dans le temps à une autre chose est aussi inexplicable que la manière dont une chose résulte d’une autre chose ; dans le premier cas, la connaissance nous est donnée et conditionnée par la sensibilité pure, dans le second par l’entendement pur. Mais Kant, en affirmant que la causalité seule est le fil conducteur qui nous mène à la connaissance de la succession objective des phénomènes, commet exactement la faute qu’il reproche à Leibnitz (Critique de la raison pure, 1re éd., p. 275), savoir : « qu’il intellectualise les formes de la sensibilité. » Ma manière de voir sur la succession est la suivante. Nous puisons dans le temps, cette forme propre à la sensibilité pure, la connaissance de la simple possibilité de la succession. Quant à la succession des objets réels, dont la forme est précisément le temps, nous la reconnaissons, empiriquement, donc comme réelle. Mais la nécessité d’une succession de deux états, c’est-à-dire d’un changement, nous la reconnaissons uniquement par l’entendement moyennant la causalité, et le fait même d’avoir le concept de nécessité d’une succession prouve déjà que