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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

mode d’action particulier et spécialement déterminé des corps, par lequel précisément ils diffèrent les uns des autres. Donc après ce dépouillement, ce qui reste c’est la simple activité générale, c’est l’action pure en tant qu’action, c’est la causalité elle-même, conçue objectivement ; elle est donc le reflet de notre propre entendement ; elle est l’image, projetée au dehors de son unique fonction ; la matière n’est de part en part que causalité, et son essence, c’est l’agir en général. (Comp. Le monde comme volonté et représentation, vol. I, § 4.) Voilà pourquoi on ne peut pas percevoir la matière, on ne peut que la penser ; elle est quelque chose que l’on ajoute par la pensée, comme fondement à toute réalité. Car la causalité pure, le simple agir sans mode déterminé d’action, ne peut être rendu perceptible, et par conséquent ne peut faire l’objet de l’expérience. La matière n’est donc que le corrélatif objectif de l’entendement pur, car elle est la causalité absolument parlant, et rien autre ; de même que l’entendement n’est que la connaissance immédiate de la cause et de l’effet en général, et rien de plus. C’est aussi pourquoi la loi de causalité ne peut être appliquée à la matière : cela veut dire que celle-ci ne peut être ni créée ni détruite ; elle est et elle persiste. Car, comme tout changement des accidents (formes et qualités), c’est-à-dire toute création et toute destruction, ne peut survenir que moyennant la causalité, et comme la matière n’est elle-même que la causalité pure comme telle, considérée au point de vue objectif, il s’ensuit qu’elle ne peut exercer son pouvoir sur elle-même, comme l’œil qui peut tout voir, sauf soi-même. Comme