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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

instant heureux où, à la faveur de circonstances extérieures, ou intérieures, des séries compliquées de causes, ou bien les causes secrètes de phénomènes mille fois observés, ou bien des voies obscures et non encore explorées, s’éclairent soudain pour l’entendement.

Les explications précédentes sur ce qui se passe dans la vision et dans le toucher ont démontré victorieusement que la perception empirique est en substance l’œuvre de l’entendement, auquel les sens ne font que fournir par leurs impressions l’étoffe, et, en somme, une étoffe fort pauvre ; si bien qu’on peut dire qu’il est l’artiste créateur et qu’eux ne sont que les manouvriers qui lui passent les matériaux. Son procédé invariable consiste à passer des effets donnés à leurs causes, qui par là seulement se présentent alors comme des corps dans l’espace. La condition sine qua non pour cela est la loi de causalité, que lui-même doit apporter dans ce but, car elle n’a pu lui être donnée d’aucune manière du dehors. Elle est la condition première de toute perception empirique ; celle-ci est la forme sous laquelle apparaît toute expérience extérieure ; comment donc alors le principe de causalité pourrait-il avoir été puisé dans l’expérience, dont il est lui-même la présupposition essentielle ? C’est à cause de cette impossibilité absolue, et parce que Locke dans sa philosophie avait supprimé toute apriorité, que Hume a nié totalement la réalité du concept de causalité. Celui-là avait déjà mentionné (dans le 7e de ses Essays on human understanding) deux fausses hypothèses que l’on a fait revivre de nos jours : l’une, que c’est l’action de la volonté sur les