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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

toujours au moins autant qu’il en faut pour percevoir avec leurs sens : car la sensation sans l’entendement ne serait pas seulement un don inutile, mais encore un présent cruel de la nature. Ceux-là seuls qui en seraient eux-mêmes privés pourraient mettre en doute l’entendement des animaux supérieurs. Mais on peut même constater parfois, d’une manière irréfragable, que leur connaissance delà causalité, est réellement une connaissance à priori et qu’elle ne dérive pas purement de l’habitude de voir une chose succéder à une autre. Un tout jeune chien ne sautera pas à bas d’une table, parce qu’il anticipe le résultat. J’avais fait installer, il y a quelque temps, aux fenêtres de ma chambre à coucher, de longs rideaux tombant jusqu’à terre et qui se séparaient en deux par le milieu au moyen d’un cordon : quand le matin, à mon lever, j’exécutai pour la première fois cette opération, je remarquai, à ma surprise, que mon barbet, animal très intelligent, était resté tout saisi, et que, tantôt se levant sur ses pattes, tantôt furetant sur les côtés, il s’efforçait de trouver la cause du phénomène ; il cherchait donc le changement qu’il savait à priori avoir dû précéder ; le lendemain, il recommença la même manœuvre. — Mais les animaux inférieurs également ont de l’entendement : le polype lui-même, qui n’a pas d’organes distincts pour les sens, quand à l’aide dé ses bras il se transporte de feuille en feuille jusqu’au sommet de sa plante aquatique pour trouver plus de lumière, témoigne, qu’il, perçoit ; par conséquent, qu’il a de l’entendement.

L’entendement humain, que nous séparons nettement