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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

est un travail intellectuel, une œuvre de l’entendement, pour laquelle la sensation fournit seulement l’occasion et les données devant servir à l’application dans chaque cas isolé.

Je veux maintenant prouver la même chose pour le sens de la vue. Ce qu’il y a d’immédiatement donné ici se borne à la sensation de la rétine, sensation qui admet, il est vrai, beaucoup de diversité, mais qui se résume dans l’impression du clair et d’obscur, avec les degrés intermédiaires, et des couleurs proprement dites. Cette sensation est entièrement subjective, c’est-à-dire placée uniquement à l’intérieur de l’organisme et sous la peau. Aussi, sans l’entendement, n’en aurions-nous conscience que comme de modifications particulières et variées de la sensation dans notre œil, qui n’auraient rien qui ressemblât à la figure, à la position, à la proximité ou à l’éloignement d’objets hors de nous. Car ce que fournit la sensation dans la vision, ce n’est qu’une affection variée de la rétine, en tout semblable à l’aspect d’une palette chargée de nombreuses taches de toute couleur : et c’est là aussi tout ce qui resterait dans la conscience, si l’on pouvait retirer subitement, par une paralysie du cerveau par exemple, l’entendement à une personne placée en face d’un point de vue vaste et varié, tout en lui conservant la sensation ; car c’était là la matière première, avec laquelle son entendement créait auparavant la perception de ce point de vue.

Cette faculté pour l’entendement de pouvoir créer ce monde visible, si inépuisablement riche et si varié de formes, avec des matériaux si peu nombreux, savoir le