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APRIORITÉ DE LA NOTION DE CAUSALITÉ

espace avec ses lois, jamais l’image d’un cube ne pourrait naître de ces sensations successives qu’éprouve sa main. Si, fermant les doigts, on fait courir une corde dans la main, l’on construira, comme cause du frottement et de durée, dans cette position spéciale de la main, un corps allongé, de forme cylindrique, se mouvant uniformément dans une direction certaine. Mais jamais, par cette seule sensation dans ma main, la représentation du mouvement, c’est-à-dire du changement de place dans l’espace par l’intermédiaire du temps, ne pourra se produire, car la sensation ne peut contenir ni produire jamais par elle seule rien de semblable. C’est l’intellect qui doit, avant toute expérience, contenir en soi l’intuition de l’espace, du temps et par suite aussi celle de la possibilité du mouvement, et en même temps la notion de causalité pour pouvoir ensuite passer de la simple sensation empirique à une cause de cette sensation et construire alors cette cause sous la forme d’un corps se mouvant de telle façon et ayant telle figure. Car quelle distance n’y a-t-il pas entre une simple sensation dans la main et les notions de causalité, de matérialité et de mouvement dans l’espace par l’intermédiaire du temps ! La sensation dans la main, même avec des attouchements et des positions variés, est quelque chose de beaucoup trop uniforme et de trop pauvre en données pour qu’il soit possible de construire avec cela la représentation de l’espace avec ses trois dimensions, de l’influence réciproque des corps, et des propriétés d’étendue, d’impénétrabilité, de cohésion, de figure, de dureté, de mollesse, de repos et de mouvement,