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naire, une certaine teinte de sagesse qui les distingue des plus jeunes qu’eux. Mais tout cela produit principalement le calme intellectuel qui est un élément important, je dirais même la condition et l’essence du bonheur. Tandis que le jeune homme croit qu’il pourrait conquérir en ce monde Dieu sait quelles merveilles s’il savait seulement où les trouver, le vieillard est pénétré de la maxime de l’Ecclésiaste : « Tout est vanité, » et il sait bien maintenant que toutes les noix sont creuses, quelque dorées qu’elles puissent être.

Ce n’est que dans un âge avancé que l’homme arrive entièrement au nil admirari d’Horace, c’est-à-dire à la conviction directe, sincère et ferme, de la vanité de toutes choses et de l’inanité de toutes pompes en ce monde. Plus de chimères ! Il ne se berce plus de l’illusion qu’il réside quelque part, palais ou chaumière, une félicité spéciale, plus grande que celle dont il jouit lui-même partout, et en ce qu’il y a d’essentiel toutes les fois qu’il est libre de toute douleur physique ou morale. Il n’y a plus de distinction à ses yeux entre le grand et le petit, entre le noble et le vil, mesurés à l’échelle d’ici-bas. Cela donne au vieillard un calme d’esprit particulier qui lui permet de regarder en souriant les vains prestiges de ce monde. Il est complètement désabusé ; il sait que la vie humaine, quoi qu’on fasse pour l’accoutrer et l’attifer, ne tarde pas à se montrer, dans toute sa misère, à travers ces oripeaux de foire ; il sait que, quoi qu’on fasse pour la peindre et l’orner, elle est, en somme, toujours la même chose, c’est-à-dire une existence dont il faut estimer la