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duellement, après qu’il aurait la connaissance bien exacte de tout ce qui y est situé, et ayant toujours soin qu’il n’y reste rien d’obscur, rien qu’il n’aurait compris qu’à demi ou de travers. Il en résulterait que ses notions sur les choses et sur les relations humaines, bien que restreintes encore et très simples, seraient néanmoins distinctes et vraies, de manière à n’avoir plus besoin que d’extension et non de redressement ; on continuerait ainsi jusqu’à ce que l’enfant fût devenu jeune homme. Cette méthode exige surtout qu’on ne permette pas la lecture de romans ; on les remplacera par des biographies convenablement choisies, comme par exemple celle de Franklin, ou l’histoire d’Antoine Reiser par Moritz, et autres semblables.

Tant que nous sommes jeunes, nous nous imaginons que les événements et les personnages importants et de conséquence feront leur apparition dans notre existence avec tambour et trompette ; dans l’âge mûr, un regard rétrospectif nous montre qu’ils s’y sont tous glissés sans bruit, par la porte dérobée et presque inaperçus.

On peut aussi, au point de vue qui nous occupe, comparer la vie à une étoffe brodée dont chacun ne verrait, dans la première moitié de son existence, que l’endroit, et, dans la seconde, que l’envers ; ce dernier côté est moins beau, mais plus instructif, car il permet de reconnaître l’enchaînement des fils.

La supériorité intellectuelle même la plus grande ne fera valoir pleinement son autorité dans la conversation qu’après la quarantième année. Car la maturité propre à l’âge et les fruits de l’expérience peuvent bien être sur-