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la proposition suivante : Toutes les choses sont belles à la vue et affreuses dans leur être (herrlich zu seh’n, aber schrecklich zu seyn). Il résulte de tout ce qui précède que, pendant l’enfance, les objets nous sont connus bien plus par le côté de la vue, c’est-à-dire de la représentation, de l’objectivité, que par celui de l’être, qui est en même temps celui de la volonté. Comme le premier est le côté réjouissant des choses et que leur côté subjectif et effrayant nous est encore inconnu, le jeune intellect prend toutes les images que la réalité et l’art lui présentent pour autant d’êtres heureux : il s’imagine qu’autant elles sont belles à voir, autant et plus elles le sont à être. Aussi la vie lui apparaît comme un éden : c’est là cette Arcadie où tous nous sommes nés. Il en résulte, un peu plus tard, la soif de la vie réelle, le besoin pressant d’agir et de souffrir, nous poussant irrésistiblement dans le tumulte du monde. Ici, nous apprenons à connaître l’autre face des choses, celle de l’être, c’est-à-dire de la volonté, que tout vient croiser à chaque pas. Alors s’approche peu à peu la grande désillusion ; quand elle est arrivée, on dit : « L’âge des illusions est passé[1], » et tout de même elle avance toujours davantage et devient de plus en plus complète. Ainsi, nous pouvons dire que pendant l’enfance la vie se présente comme une décoration de théâtre vue de loin, pendant la vieillesse, comme la même, vue de près.

Voici encore un sentiment, qui vient contribuer au bonheur de l’enfance : ainsi qu’au commencement du prin-

  1. En français dans le texte.