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La raison principale pour laquelle un événement malheureux est moins lourd à porter quand nous l’avons considéré à l’avance comme possible et que nous en avons pris notre parti, comme on dit, cette raison doit être la suivante : lorsque nous pensons avec calme à un malheur avant qu’il se produise, comme à une simple possibilité, nous en apercevons l’étendue clairement et de tous les côtés, et nous en avons alors la notion comme de quelque chose de fini et de facile à embrasser d’un regard ; de façon que, lorsqu’il arrive effectivement, il ne peut pas agir avec plus de poids qu’il n’en a en réalité. Si, au contraire, nous n’avons pas pris ces précautions, si nous sommes frappés sans préparation, l’esprit effrayé ne peut, au premier abord, mesurer exactement son étendue, et, ne pouvant le voir d’un seul regard, il est porté à le considérer comme incommensurable, ou, au moins, comme beaucoup plus grand qu’il ne l’est vraiment. C’est ainsi que l’obscurité et l’incertitude grossissent tout danger. Ajoutons que certainement, en considérant ainsi à l’avance un malheur comme possible, nous avons médité en même temps sur les motifs que nous aurons de nous en consoler et sur les moyens d’y remédier, ou pour le moins nous nous sommes familiarisés avec sa vue.

Mais rien ne nous fera supporter avec plus de calme les malheurs, que de bien nous convaincre de la vérité que j’ai fermement établie, en remontant à leurs principes premiers, dans mon ouvrage couronné sur le Libre arbitre ; je l’ai énoncée en ces termes : Tout ce qui arrive, du plus grand au plus petit, arrive nécessaire-