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sera bon de ne pas oublier. De cette façon, nous envisagerons la chose comme le minéralogiste considère un spécimen bien caractérisé d’un minéral, qui lui serait tombé entre les mains. Il y a des exceptions, il y en a même d’incompréhensiblement grandes, et les différences entre les individualités sont immenses ; mais, pris en bloc, on l’a dit dès longtemps, le monde est mauvais ; les sauvages s’entre-dévorent et les civilisés s’entre-trompent, et voilà ce qu’on appelle le cours du monde. Les États, avec leurs ingénieux mécanismes dirigés contre le dehors et le dedans et avec leurs voies de contrainte, que sont-ils donc, sinon des mesures établies pour mettre des bornes à l’iniquité illimitée des hommes ? Ne voyons-nous pas, dans l’histoire entière, chaque roi, dès qu’il est solidement assis et que son pays jouit de quelque prospérité, en profiter pour tomber avec son armée, comme avec une bande de brigands, sur les États voisins ? Toutes les guerres ne sont-elles pas, au fond, des actes de brigandage ? Dans l’antiquité reculée comme aussi pendant une partie du moyen âge, les vaincus devenaient les esclaves des vainqueurs, ce qui, au fond, revient à dire qu’ils devaient travailler pour ceux-ci ; mais ceux qui payent des contributions de guerre doivent en faire autant, c’est-à-dire qu’ils livrent le produit de leur travail antérieur. Dans toutes les guerres, il ne s’agit que de voler, a écrit Voltaire ; et que les Allemands se le tiennent pour dit.

30° Aucun caractère n’est tel qu’on puisse l’abandonner à lui-même et le laisser aller entièrement ; il a besoin d’être guidé par des notions et des maximes. Mais si,