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occuper uniquement de l’utiliser autant que sa qualité et son organisation le permettent, mais sans espérer la modifier et sans la condamner purement et simplement telle qu’elle est. Voilà la vraie signification de ce dicton : « Vivre et laisser vivre. » Toutefois la tâche est moins facile qu’elle n’est équitable, et heureux celui à qui il est donné de pouvoir à jamais éviter certaines individualités ! En attendant, pour apprendre à supporter les hommes, il est bon d’exercer sa patience sur les objets inanimés qui, en vertu d’une nécessité mécanique ou de toute autre nécessité physique, contrarient obstinément notre action ; nous avons pour cela des occasions journalières. On apprend ensuite à reporter sur les hommes, la patience ainsi acquise, et l’on se fait à cette pensée qu’eux aussi, toutes les fois qu’ils nous sont un obstacle, le sont forcément, en vertu d’une nécessité naturelle aussi rigoureuse que celle avec laquelle agissent les objets inanimés ; que, par conséquent, il est aussi insensé de s’indigner de leur conduite que d’une pierre qui vient rouler sous nos pieds. À l’égard de maint individu, le plus sage est de se dire : « Je ne le changerai pas, je veux donc l’utiliser. »

22° Il est surprenant de voir à quel point se manifeste dans la conversation l’homogénéité ou l’hétérogénéité d’esprit et de caractère entre les hommes ; elle devient sensible à la moindre occasion. Entre deux personnes de natures essentiellement dissemblables qui causeront sur les sujets les plus indifférents, les plus étrangers, chaque phrase de l’une déplaira plus ou moins à l’autre, un mot parfois ira jusqu’à la mettre en colère. Quand elles se