Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extension (Voy. Le monde c. V. et c. R., vol. II)[1]. En général, pénétrons-nous bien de ce fait que notre penser n’est autre chose que la fonction organique du cerveau, et partant se comporte, pour ce qui regarde la fatigue et le repos, d’une manière analogue à celle de toute autre activité organique. Un effort excessif fatigue le cerveau comme il fatigue les yeux. On a dit avec raison : Le cerveau pense comme l’estomac digère. L’idée d’une âme immatérielle, simple, essentiellement et constamment pensante, partant infatigable, qui ne serait là que comme logée en quartier dans le cerveau et n’aurait besoin de rien au monde, a certainement poussé plus d’un homme à une conduite insensée qui a émoussé ses forces intellectuelles ; Frédéric le Grand, par exemple, n’a-t-il pas essayé une fois de se déshabituer totalement du sommeil ? Les professeurs de philosophie devraient bien ne pas encourager une pareille illusion, nuisible même en pratique, par leur philosophie orthodoxe de vieilles femmes (Katechismus-gerechtseyn-wollende Rocken-Philosophie). Il faut apprendre à considérer les forces intellectuelles comme étant absolument des fonctions physiologiques, afin de savoir les manier, les ménager ou les fatiguer en consé-

  1. Le sommeil est une petite portion de mort que nous empruntons anticipando et par le moyen de laquelle nous regagnons et renouvelons la vie épuisée dans l’espace d’un jour. Le sommeil est un emprunt fait à la mort. Le sommeil emprunte à la mort pour entretenir la vie. Ou bien, il est l’intérêt payé provisoirement à la mort *, qui elle-même est le payement intégral du capital. Le remboursement total est exigé dans un délai d’autant plus long que l’intérêt est plus élevé et se paye plus régulièrement. (Note de l’auteur.)
      * En français dans le texte