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tude. » Angélus Silesius, âme douce et chrétienne, dit la même chose dans son langage à part et tout mystique :

Hérode est un ennemi, Joseph est la raison
À qui Dieu révèle en songe (en esprit) le danger :
Le monde est Bethléem, l’Égypte la solitude :
Fuis, mon finie ! fuis, ou tu meurs de douleur.

Voici également comment s’exprime Jordan Bruno : « Tanti nomini, che in terra hanno voluto gustare vita celeste, dissero con una voce : ecce elongavi fugiens et mansi in solitudine. » (Tous ceux qui ont voulu goûter sur terre la vie céleste, ont dit d’une voix : « Voici que je me suis éloigné en courant et je suis resté dans la solitude » ). Saadi, le Persan, en parlant de lui-même, dit encore dans le Gulistan : « Fatigué de mes amis à Damas, je me retirai dans le désert auprès de Jérusalem, pour rechercher la société des animaux. » Bref, tous ceux que Prométhée avait façonnés de la meilleure argile ont parlé dans le même sens. Quelles jouissances peuvent en effet trouver ces êtres privilégiés dans le commerce de créatures avec lesquelles ils ne peuvent avoir de relations pour établir une vie en commun que par l’intermédiaire de la plus basse et la plus vile part de leur propre nature, c’est-à-dire par tout ce qu’il y a dans celle-ci de banal, de trivial et de vulgaire ? Ces êtres ordinaires ne peuvent s’élever à la hauteur des premiers, n’ont d’autre ressource comme ils n’auront d’autre tâche que de les abaisser à leur propre niveau. À ce point de vue, c’est un sentiment aristocratique qui nourrit le penchant à l’isolement et à la