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résultat de l’expérience et de la réflexion et se produire toujours en rapport avec le développement de la force intellectuelle propre et en proportion des progrès de l’âge : d’où il suit qu’en somme l’instinct social de chaque individu sera dans le rapport inverse de son âge. Le petit enfant pousse des cris de frayeur et se lamente dès qu’on le laisse seul, ne fût-ce qu’un moment. Pour les jeunes garçons, devoir rester seuls est une sévère pénitence. Les adolescents se réunissent volontiers entre eux ; il n’y a que ceux doués d’une nature plus noble et d’un esprit plus élevé qui recherchent déjà parfois la solitude ; néanmoins passer toute une journée seuls leur est encore difficile. Pour l’homme fait, c’est chose facile ; il peut rester longtemps isolé, et d’autant plus longtemps qu’il avance davantage dans la vie. Quant au vieillard, unique survivant de générations disparues, mort d’une part aux jouissances de la vie, d’autre part élevé au-dessus d’elles, la solitude est son véritable élément. Mais, dans chaque individu considéré séparément, les progrès du penchant à la retraite et à l’isolement seront toujours en raison directe de sa valeur intellectuelle. Car, ainsi que nous l’avons déjà dit, ce n’est pas là un penchant purement naturel, provoqué directement par la nécessité ; c’est plutôt seulement l’effet de l’expérience acquise et méditée ; on y arrive surtout après s’être bien convaincu de la misérable condition morale et intellectuelle de la plupart des hommes, et ce qu’il y a de pire dans cette condition c’est que les imperfections morales de l’individu conspirent avec ses imperfections intellectuelles et s’entr’aident mutuellement ; il se