Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reste le raisonnement philosophique seul peut attaquer le mal dans sa racine. Jusque-là, si les gouvernements veulent sérieusement abolir le duel et si le mince succès de leurs efforts ne tient qu’à leur impuissance, je viens leur proposer une loi dont je garantis l’efficacité et qui ne réclame ni opérations sanglantes, ni échafauds, ni potences, ni prisons perpétuelles. C’est au contraire un petit, tout petit remède homœopathique des plus faciles ; le voici : « Quiconque enverra ou acceptera un cartel recevra à la chinoise, en plein jour, devant le corps de garde, douze coups de bâton de la main du caporal ; les porteurs du cartel ainsi que les seconds en recevront chacun six. Pour les suites éventuelles des duels accomplis, on suivra la procédure criminelle ordinaire. » Quelque chevalier m’objectera peut-être qu’après avoir subi une pareille punition maint « homme d’honneur » sera capable de se brûler la cervelle ; à cela je réponds : Il vaut mieux qu’un tel fou se tue lui-même que de tuer un autre homme. Mais je sais très bien qu’au fond les gouvernements ne poursuivent pas sérieusement l’abolition des duels. Les appointements des employés civils, mais surtout ceux des officiers (sauf les grades élevés), sont bien inférieurs à la valeur, de ce qu’ils produisent. On leur solde la différence en honneur. Celui-ci est représenté par des titres et des décorations, et, dans une acception plus large, par l’honneur de la fonction en général. Or, pour cet honneur, le duel est un excellent cheval de main dont le dressage commence déjà dans les universités. C’est de leur sang que les victimes payent le déficit des appointements.

Pour ne rien omettre, mentionnons encore ici l’honneur