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L’honneur, tel que je l’ai considéré jusqu’ici dans ses genres et dans ses principes, se trouve régner généralement chez tous les peuples et à toutes les époques, quoiqu’on puisse découvrir quelques modifications locales et temporaires des principes de l’honneur féminin. Mais il existe un genre d’honneur entièrement différent de celui qui a cours généralement et partout, dont ni les Grecs ni les Romains n’avaient la moindre idée, pas plus que les Chinois, les Hindous ni les mahométans jusqu’aujourd’hui encore. En effet, il est né au moyen âge et ne s’est acclimaté que dans l’Europe chrétienne ; ici même, il n’a pénétré que dans une fraction minime de la population, savoir, parmi les classes supérieures de la société et parmi leurs émules. C’est l’honneur chevaleresque ou le point d’honneur. Sa base diffère totalement de celle de l’honneur dont nous avons traité jusqu’ici ; sur quelques points, elle en est même l’opposé, puisque l’un fait l’homme honorable, et l’autre, par contre, l’homme d’honneur. Je vais donc exposer ici, séparément, leurs principes, sous forme de code ou miroir de l’honneur chevaleresque.

1° L’honneur ne consiste pas dans l’opinion d’autrui sur notre mérite, mais uniquement dans les manifestations de cette opinion ; peu importe que l’opinion manifestée existe réellement ou non, et encore moins qu’elle soit, ou non, fondée. Par conséquent, le monde peut avoir la pire opinion sur notre compte à cause de notre conduite ; il peut nous mépriser tant que bon lui semble ; cela ne nuit en rien à notre honneur, aussi longtemps que personne ne se permet de le dire à haute voix. Mais, à l’inverse,