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car le bien-être de la communauté péricliterait si le procédé se généralisait ; on dit alors : Elle a perdu son honneur. Aucune femme ne doit plus la fréquenter ; on l’évite comme une pestiférée. Le même sort attend la femme adultère, parce qu’elle a violé la capitulation consentie par le mari, et qu’un tel exemple rebute les hommes de conclure de ces conventions, alors que cependant le salut de toutes les femmes en dépend. Mais, de plus, comme une pareille action comprend une tromperie et un grossier manquement de parole, la femme adultère perd non seulement l’honneur sexuel, mais encore l’honneur bourgeois. C’est pourquoi l’on peut bien dire, comme pour l’excuser : « une fille tombée » ; on ne dira jamais : « une femme tombée » ; le séducteur peut rendre l’honneur à la première par le mariage, mais jamais l’adultère à sa complice, après divorce. Après cet exposé si clair, on reconnaîtra que la base du principe de l’honneur féminin est un « esprit de corps » salutaire, nécessaire même, mais néanmoins bien calculé et fondé sur l’intérêt ; on pourra bien lui attribuer la plus haute importance dans la vie de la femme, on pourra lui accorder une grande valeur relative, mais jamais une valeur absolue, dépassant celle de la vie avec ses destinées ; on n’admettra jamais, non plus, que cette valeur aille jusqu’à devoir être payée au prix même de l’existence. On ne pourra donc approuver ni Lucrèce ni Virginius, avec leur exaltation dégénérant en farces tragiques. La péripétie, dans le drame d’Emilia Galotti[1],

  1. De W. Lessing. (Note du trad.)