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voir combien sont bornés et sots les philosophastres qui, en phrases pompeuses, représentent l’État comme la fin suprême et la fleur de l’existence humaine. Une telle manière de voir est l’apothéose du philistinisme.

Si la justice gouvernait le monde, il suffirait d’avoir bâti sa maison, et l’on n’aurait pas besoin d’autre protection que de ce droit évident de propriété. Mais parce que l’injustice est à l’ordre du jour, il est nécessaire que celui qui a bâti la maison soit aussi en état de la protéger. Autrement son droit est imparfait de facto : l’agresseur a le droit de la force (Faustrecht). C’est précisément la conception du droit de Spinoza, qui n’en reconnaît pas d’autre. Il dit : « Unusquisque tantum juris habet, quantum potentia valet » (Tractatus theologico-politicus, chap. ii, § 8), et : « Uniuscujusque jus potentia ejus definitur » (Éthique, propos. 37, scolie 1re.) C’est Hobbes qui semble lui avoir suggéré cette conception du droit, particulièrement par un passage du De Cive (chap. I, § 14), où il ajoute ce commentaire étrange, que le droit de Dieu en toutes choses repose uniquement sur son omnipotence.

Mais c’est là une conception du droit qui, en théorie comme en pratique, est abolie dans le monde civil ; dans le monde politique, elle ne l’est qu’en théorie, et continue à agir en pratique. Les conséquences de la négligence de cette règle peuvent se voir en Chine. Menacé par la rébellion à l’intérieur et par l’Europe à l’extérieur, cet empire, le plus grand du monde, reste là incapable de se défendre, et doit expier la faute d’avoir cultivé exclusivement les arts de la paix et ignoré ceux de la guerre.