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aussi l’essence primordiale. Si notre volonté est libre, elle est aussi l’essence primordiale, et réciproquement. Le dogmatisme prékantien, qui aurait voulu séparer ces deux attributs, était ainsi forcé d’admettre deux libertés : celle d’une première cause cosmogonique, pour la cosmologie, et celle de la volonté humaine, pour la morale et la théologie. En conformité de cela, Kant traite aussi de la troisième non moins que de la quatrième antinomie de la liberté.

Dans ma philosophie, au contraire, la reconnaissance directe de la stricte nécessité des actions implique la doctrine que, même chez les êtres dépourvus de conscience, ce qui se manifeste est la volonté. Autrement, l’action de cette nécessité évidente serait mise en opposition avec la volonté, s’il y avait réellement une telle liberté du fait individuel, et si celui-ci n’était pas plutôt aussi strictement nécessité que toute autre action. D’autre part, cette même doctrine de la nécessité des actes de volonté exige que l’existence et l’essence de l’homme soient elles-mêmes l’œuvre de sa liberté, par conséquent de sa volonté, et que cette dernière ait donc de l’aséité[1]. Dans l’opinion opposée, toute responsabilité disparaîtrait, ainsi que nous l’avons montré, et le monde moral comme le monde physique serait une pure machine que son fabricant du dehors ferait servir à son propre amusement. C’est ainsi que les vérités tiennent toutes ensemble, s’appellent, se complètent, tandis que l’erreur se heurte à tous les angles.

  1. Littré définit ainsi ce mot : « Terme de scolastique, qui signifie l’existence par soi-même, et qui ne peut être dit par conséquent que de Dieu seul, ou, suivant les systèmes matérialistes, de la matière ». (Le trad.)