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lui-même : Dum ego salvus sim, pereat mundus[1]. Et, réellement, si tous les autres êtres périssaient, dans le seul être survivant subsisterait, intacte et non diminuée, toute l’essence en soi du monde, qui rirait de la destruction de ceux-là comme d’une jonglerie. C’est là, sans doute, une conclusion per impossibile, à laquelle on est tout aussi bien en droit d’opposer celle-ci : si un être, même le moindre, était complètement anéanti, le monde entier périrait en lui et avec lui. En ce sens, le mystique Angelus Silesius a dit :

Je sais que, sans moi, Dieu ne peut pas vivre un seul instant ; Si je suis anéanti, son esprit doit nécessairement disparaître[2].

Mais pour pouvoir constater en quelque mesure, même au point de vue empirique, cette vérité, ou du moins la possibilité que notre propre « moi » soit à même d’exister dans d’autres êtres dont la conscience est séparée et distincte de la nôtre, nous n’avons qu’à

  1. « Pourvu que je sois sauf, le monde peut périr ».
  2. « Ich weiss dass ohne mich Gott nicht ein Nu kann leben ;
    __Werd’ich zu nicht, Er muss von Noth den Geist aufgeben ».
    _________Cherubinischer Wandersmann, livre I, 8.

    Jean Scheffler, auteur du recueil de vers précité, le Pèlerin chérubique, naquit à Breslau en 1624, abjura en 1653 le protestantisme pour se faire catholique, occasion à laquelle il prit le nom d’Angelus (l’ange de Silésie), et mourut chanoine de sa ville natale, en 1677. Il poursuivit de sa haine acharnée et infatigable ses anciens coreligionnaires, contre lesquels il ne publia pas moins de cinquante-cinq pamphlets. Angelus Silesius est, avec le jésuite Frédéric Spee, l’auteur du Trutz Nachtigall (En dépit du rossignol), l’un des deux principaux représentants de la poésie mystique au XVIIe siècle allemand. Le second est d’ailleurs de beaucoup supérieur au premier. Il a de la force et de l’imagination, tandis que la manière de celui-là, toute pénétrée d’un panthéisme incohérent, dégénère trop souvent en fadeur sentimentale. (Le trad.)