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elle repose sur l’illusion de la valeur positive et réelle des plaisirs sensuels. L’indigence et la misère futures sont en conséquence le prix auquel le prodigue achète ces plaisirs vides, fugitifs, souvent même purement imaginaires, ou repaît sa vaine et sotte vanité des courbettes de ses parasites, qui rient de lui derrière son dos, comme de l’étonnement de la populace et des envieux de sa magnificence. Pour cette raison l’on doit le fuir, comme on fuit un pestiféré, et, dès que l’on a découvert son vice, rompre avec lui. Ainsi l’on n’aura pas plus tard, quand les conséquences se produiront, ou à en supporter sa part, ou à jouer le rôle des amis de Timon d’Athènes. De même il ne faut pas compter que celui qui dissipe imprudemment sa fortune, laissera intacte celle d’autrui, si elle vient à lui tomber entre les mains. Sui profusus, alieni appetens[1], a très justement remarqué Salluste (Catilina, chap. v). La prodigalité ne mène donc pas seulement à l’appauvrissement, elle mène de plus, par celui-ci, au crime ; les criminels des classes élevées le sont presque tous devenus par leur prodigalité. Le Koran dit avec raison : « Les prodigues sont frères de Satan. » (Sura XVII, verset 29). L’avarice, au contraire, a la superfluité dans son cortège ; et quand donc celle-ci n’est-elle pas souhaitable ? Ce doit être là un bon vice ayant de bonnes conséquences. L’avare, en effet, procède du principe exact que tous les plaisirs n’exercent qu’une action négative, et que, par suite, une félicité constituée par eux est une chimère ; tandis que les douleurs sont positives et très réelles. Alors il se refuse

  1. « Prodigue de son argent, convoiteux de celui d’autrui ».