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repose cette prétendue dignité de l’homme, la réponse serait qu’elle repose sur sa moralité. Ainsi, la moralité repose sur la dignité, et la dignité sur la moralité. Mais, ceci mis à part, c’est seulement d’une façon ironique que la conception de dignité me semble applicable à un être aussi malade de volonté, aussi limité d’intelligence, aussi débile de corps que l’homme.

Quid superbit homo ? cujus conceptio culpa,
Nasci pœna, labor vita, necesse mori ![1]

Aussi voudrais-je établir, par opposition à la forme indiquée du principe moral de Kant, la règle suivante : n’entreprenez pas d’apprécier objectivement, quant à sa valeur et à sa dignité, l’être avec lequel vous entrez en contact ; ne prenez donc pas en considération la perversité de sa volonté, la limitation de son intelligence ni la fausseté de ses idées. La première pourrait aisément éveiller contre lui la haine, la dernière le mépris. Tenez seulement compte de ses souffrances, de sa misère, de ses angoisses, de ses douleurs. Alors nous nous sentirons toujours apparentés à lui, nous sympathiserons toujours avec lui, et, au lieu de la haine ou du mépris, nous éprouverons pour lui cette compassion qui est la seule ἀγάπη (affection) à laquelle nous convie l’Évangile. Pour empêcher la haine et le mépris de se soulever contre lui, ce n’est certainement pas la recherche de sa prétendue dignité, mais, au contraire, l’affirmation de la sympathie, qui est le point de vue véritable.

  1. « De quoi s’enorgueillit l’homme, dont la conception est une faute, la naissance une douleur, la vie une fatigue, et qui est voué à la mort ! »