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que je voulais fixer pour elle-même ; on les a unis ensemble avec un peu de chaux et de mortier. C’est pour cela qu’ils ne sont pas vides et ennuyeux, comme ceux des gens qui s’assoient à leur bureau et écrivent un livre page par page, d’après un plan arrêté ». Certains juges ont émis l’avis que si une telle manière de composer peut être une condition de variété et d’intérêt, un peu plus de ciment, cependant, n’aurait pas nui à la consolidation de l’édifice. Mais d’autres ont riposté que cet édifice est entièrement bâti en pierres de taille, comme ces murailles cyclopéennes où chaque bloc, tel qu’il est, s’ajoute aux autres presque sans liaison artificielle, reposant dans la masse par son propre poids et consolidant l’ensemble.

Quant à cet ensemble même, il n’est peut-être pas un seul philosophe de valeur, depuis Platon, pour ne pas remonter à Çakya Mouni, jusqu’à Hegel et Schelling eux-mêmes, qui n’ait contribué à le constituer et à le rendre viable ; mais l’agencement merveilleux de ces pièces de rapport, leur emploi en vue d’une idée suivie et la conception même de cette idée qui les rattache et les unit, voilà l’œuvre propre de Schopenhauer. Elle suffit à sa gloire. Peut-être certaines parties de ses écrits ont-elles un peu vieilli, sont-elles devenues un peu insuffisantes, et ont-elles surtout, pour le lecteur du XXe siècle, un intérêt historique et documentaire ; la science proprement dite et même la science psychologique ont fait, depuis près de cinquante ans qu’est mort Schopenhauer, des progrès éclatants, et celui-ci, malgré tout son talent et sa perspicacité si aiguë, ne pouvait savoir que ce qu’on savait de son temps ; les parties sujettes à caution sont d’ailleurs en petit nombre, et elles ont grande chance de se sauver grâce à leur tour littéraire classique, à l’esprit qui y coule à pleins bords, à la connaissance subtile de l’homme dont elles sont pénétrées. En un mot, si telle ou telle pierre s’est légèrement effritée, l’ensemble de l’édifice reste aussi solidement fixé sur ses assises qu’au premier jour, et la philosophie de l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation demeure un épisode considérable de l’histoire de la pensée moderne, en même temps qu’elle