Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fausse dans ces histoires, c’est qu’elles ne parlent que de quelques individus, alors que nous sommes tous dans le même cas et avons conclu le même pacte. Nous vivons, peinons horriblement pour maintenir notre vie, qui n’est qu’un long délai entre la sentence du juge et l’exécution du condamné ; nous engraissons le délinquant qui doit néanmoins finir par être pendu ; nous jouissons, et, pour tout cela, nous devons mourir ; pour tout cela, nous sommes soumis à la mort, qui n’est pas une plaisanterie, mais une douloureuse certitude ; elle est réellement la mort pour tous les êtres terrestres, pour nous comme pour les animaux, pour les animaux comme pour les plantes, comme pour tout état de la matière. Il en est ainsi, et la conscience empirique raisonnable n’est vraiment capable d’aucune consolation. En revanche aussi, les tourments éternels après la mort sont une chose dépourvue de sens, aussi bien que la vie éternelle : car l’essence du temps, du principe même de la raison, dont le temps n’est qu’une forme, est précisément qu’il ne peut rien y avoir de fixe, de persistant, que tout est passager, que rien ne dure. « La substance persiste », disent quelques-uns. Mais Kant leur répond : « Elle n’est pas une chose en soi, elle n’est qu’un phénomène ». Il veut dire : elle n’est que notre représentation, comme toute chose connaissable ; et nous ne sommes ni une substance, ni des substances.

Quand j’écrase une mouche, il est bien clair que je n’ai pas tué la chose en soi, mais seulement son phénomène.