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dis qu’il devrait chercher à attirer et à retenir l’attention de son lecteur, il réclame plutôt encore de celui-ci que, contrairement à la loi indiquée de l’unité d’appréhension, il pense à la fois trois ou quatre pensées différentes, ou, puisque cela n’est pas possible, qu’il pense par rapides bonds successifs. De cette façon, il pose la base de son « style empesé », qu’il achève de perfectionner par des expressions précieuses et ambitieuses, employées à dire les choses les plus simples, et par d’autres artifices de cette espèce.

Le véritable caractère national des Allemands, c’est la lourdeur : elle éclate dans leur démarche, leurs faits et gestes, leur langue, leur conversation, leurs récits, dans leur façon de comprendre et de penser, mais tout spécialement dans leur style écrit. Elle se manifeste dans le plaisir que leur causent les longues périodes pesantes et enchevêtrées, où la mémoire toute seule, pendant cinq minutes, apprend patiemment la leçon qui lui est imposée, jusqu’à ce qu’enfin, au bout de la période, l’intelligence arrive au sens et que l’énigme soit résolue. Ils se complaisent à cela, et quand il est possible d’ajouter de la préciosité et de l’emphase, ainsi qu’un σεμνότης (gravité) affecté, alors l’auteur nage dans la joie ; mais que le ciel donne patience au lecteur ! Avant tout ils ont bien soin de rechercher toujours l’expression la plus indécise et la moins nette qui soit, ce qui fait que tout apparaît comme dans le brouillard. Leur but semble être, d’une part, de se ménager à chaque phrase une porte de sortie, puis, d’autre part, de poser pour avoir l’air d’en dire plus qu’ils n’en ont pensé. En un mot, cette manière de procéder accuse un hébétement véritable, et c’est elle