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exceptionnelle, dont cette soi-disant amélioration de la langue est l’objet, s’explique par le fait que, pour retrancher des syllabes dont on ne comprend pas la signification, il faut juste autant d’intelligence que le plus sot en possède.

Le massacre de la langue, imputable aux écrivains de journaux, est, de la part des lettrés qui composent des articles littéraires et des livres, l’objet d’une imitation obéissante et admirative. Or, ceux-ci ne devraient-ils pas par leur exemple opposé, c’est-à-dire par le maintien du bon et véritable allemand, chercher à remonter le courant ? C’est ce que personne ne fait.

Je n’en vois pas un seul se raidir contre lui ; pas un seul ne vient au secours de la langue maltraitée par la basse populace littéraire. Non, ils suivent, comme les moutons, et ce qu’ils suivent, ce sont les ânes[1]. Cela vient de ce qu’aucune nation n’incline aussi peu que les Allemands à juger par elle-même (to judge for themselves), et ensuite à condamner, chose dont la vie et la littérature offrent à chaque heure l’occasion. Ils sont sans fiel, comme les colombes ; mais qui est sans fiel est sans intelligence. Celle-ci suffit à enfanter une certaine acrimonie qui provoque nécessairement chaque jour, dans la vie, en art et en littérature, notre blâme et notre raillerie intimes sur des milliers de choses, et nous détourne ainsi de les imiter.

Un défaut du style aujourd’hui plus fréquent, dans l’état de décadence de la littérature et l’abandon des langues anciennes, mais endémique seulement en Alle-

  1. Il est nécessaire de découvrir des fautes de style dans les écrits d’autrui, pour les éviter dans les siens.