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qui n’ont pas compris qu’on peut monter tout sur la même forme, et se tirer d’affaire avec l’imparfait comme unique et universel prétérit ; et les Grecs, qui n’ont pas assez de trois prétérits, et y ajoutent encore les deux aoristes, combien ils doivent leur sembler sots[1] ! Ensuite ils coupent avec ardeur tous les préfixes, comme des excroissances inutiles, laissant le soin de deviner ce que signifie le reste. Des particules logiques essentielles, telles que « seulement, si, pour, il est vrai, etc. », qui auraient répandu de la lumière sur toute une période, sont supprimées par eux en vue d’économiser de l’espace, et le lecteur reste dans l’obscurité. Mais ceci plaît à maint écrivain, qui s’efforce à dessein d’écrire d’une façon difficilement compréhensible et obscure, dans l’espoir d’imposer par là — le drôle ! — du respect au lecteur. Bref, ils se permettent sans vergogne chaque massacre grammatical et lexicologique de la langue, pour épargner des syllabes. Infinis sont les stratagèmes misérables auxquels ils recourent pour supprimer çà et là une syllabe, dans la sotte illusion d’obtenir ainsi brièveté et force d’expression. Brièveté et force d’expression, mes bons nigauds, dépendent de tout autre chose que du retranchement de syllabes, et exigent des qualités que vous ne comprenez pas plus que vous ne les possédez. Et cela ne leur attire aucun blâme ; il est même possible qu’ils soient bientôt imités par une armée de plus gros ânes encore. L’imitation générale, on peut dire presque

  1. Il est bien fâcheux que nos géniaux améliorateurs de la langue n’aient pas vécu parmi les Grecs. Ils auraient sabré aussi la grammaire grecque, de façon a en faire une grammaire hottentote.