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nere, interponere, transponere, etc. La même chose se passe en allemand : le substantif Sicht, par exemple, se modifie en Aussicht, Einsicht, Durchsicht, Nachsicht, Vorsicht, Hinsicht, Absicht, etc. Le verbe suchen devient aufsuchen, aussuchen, untersuchen, besuchen, ersuchen, versuchen, heimsuchen, durchsuchen, nachsuchen, etc. Tel est le rôle des préfixes. Si on les supprime, pour cause de brièveté, et si l’on dit, sans modifications, seulement ponere, ou Sicht, ou suchen, toutes les déterminations rapprochées d’une idée fondamentale très éloignée restent non indiquées, et le sens est abandonné à Dieu et au lecteur. La langue devient ainsi à la fois pauvre, gauche et rude. Ce n’en est pas moins là précisément le procédé des perspicaces correcteurs de la langue du « temps présent ». Lourds et ignorants, ils s’imaginent sans doute que nos ancêtres si sensés auraient ajouté les préfixes inutilement, par pure sottise, et ils croient accomplir de leur côté un tour de génie, en les enlevant précipitamment partout où ils en rencontrent un ; tandis qu’au contraire il n’existe pas dans la langue un seul préfixe sans signification, un seul qui ne serve à amener l’idée fondamentale par toutes ses modulations, et à rendre ainsi possibles détermination, clarté et finesse de l’expression, qui peuvent ensuite se traduire en énergie et en relief de celle-ci. Le retranchement des préfixes, au contraire, fait de plusieurs mots un seul mot : ce qui appauvrit la langue. Mais il y a plus encore. Ce ne sont pas seulement des mots, mais des idées, qui se perdent ainsi. En effet, on manque ensuite des moyens pour fixer celles-ci, et l’on doit se contenter, en parlant et même en pensant, de l’ « à peu près », ce qui enlève